Berlioz sur les monts les plus sauvages (1)

À La Côte-Saint-André, malgré l’air du temps, Berlioz se retrouve souvent en bonne compagnie. Et découvre avec nous l’invention du piccolo à coulisse.

Berlioz sur les monts les plus sauvages (1)

LA GUERRE EN UKRAINE A EU RAISON d’une partie de l’édition 2022 du festival qu’accueille chaque année, dans la seconde quinzaine d’août, le petit bourg endormi de La Côte-Saint-André. Indésirable, Gergiev ! Oubliée, la célébration des liens entre la France et la Russie et la manière dont Berlioz, du Groupe des Cinq aux Ballets russes, a fécondé la musique née à Saint-Pétersbourg et à Moscou ! Plus triste encore, le festival bis que Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz, rêvait de voir s’épanouir à Saint-Pétersbourg, précisément, n’est plus d’actualité. Borodine, Stravinsky et les autres, ainsi, ont dû laisser la place in extremis à des exécutions (excellentes, au demeurant) de Rigoletto et de La Flûte enchantée.

La musique russe était néanmoins au rendez-vous lors du concert donné le 27 août par l’Orchestre philharmonique de Radio France et son directeur musical Mikko Franck, au cours duquel furent interprétées de grandes pages de Wagner chantées par Matthias Goerne, puis Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. La présence de ce dernier à l’affiche du festival était également justifiée par le fait que le Traité d’orchestration de Berlioz se trouvait au chevet de l’auteur de La Khovantchina au moment de son agonie… mais c’est dans la célèbre orchestration d’un autre (Ravel) que fut jouée cette fresque à la fois intime et carnavalesque. Moussorgski n’a pas eu le temps ou le désir d’orchestrer lui-même ses Tableaux : comment eût-il fait siennes les leçons de Berlioz ?

On aime Thomas Hengelbrock

On citera aussi un concert, tout aussi réussi, donné le 31 août par l’autre formation symphonique de Radio France, l’Orchestre national de France, placé sous la direction de Thomas Hengelbrock. Voilà un chef passionnant, rompu à tous les répertoires, fondateur par ailleurs du Balthasar Neumann Ensemble, formation qui interprète la musique allant de la Renaissance à nos jours, avec bien sûr l’instrumentarium ad hoc pour chacune des œuvres qu’il aborde. Un chef qui habite Paris depuis quelques mois, qui dirigera Orfeo ed Euridice de Gluck en septembre prochain au Théâtre des Champs-Élysées, et qui rêve de s’attaquer aux Troyens ! N’est-ce pas déjà là une somme de caractéristiques qui trace un profil berliozien ?

La Symphonie fantastique de Thomas Hengelbrock, donnée à La Côte-Saint-André en clôture du festival et à la suite du Concerto pour piano en sol mineur de Mendelssohn joué par Philippe Cassard (partition qu’on ne saurait réduire à un exercice de virtuosité, avec l’orchestre raréfié de son mouvement lent), est tout sauf banale : un premier mouvement commencé dans une lenteur concentrée, avec des cors splendides avant l’entrée de l’idée fixe, et des accords finaux d’un poids idéal. Puis un Bal d’une nonchalance tenue avec des harpes sonores (ce qui ne va pas toujours de soi !), une Scène aux champs où chante une clarinette splendide qui sait étouffer le son, et où l’on apprécie, détail qui n’en est pas un, la micro-respiration qui précède le retour, à la fin, du cor anglais. La Marche au supplice, exécutée sans la reprise, est d’une belle dynamique, mais voici venir, au début du dernier mouvement, des glissandos de piccolo comme on n’en a jamais entendus : c’est que Patrice Kirchhoff, qui joue cet instrument, a eu l’idée de commander à un luthier une coulisse qui permette à son instrument d’émettre des sons à mi-chemin du yo-yo et du sifflet. L’effet est inédit ! Si ce n’est la manière sont les contrebasses étaient situées un peu trop à l’écart de l’ensemble, côté jardin, voilà une exécution méticuleuse, pensée, qui nous donne envie de réentendre Thomas Hengelbrock dans Berlioz.

Trois jours auparavant, le 28 août, le Concert des Nations et son chef Jordi Savall avaient fait entendre une énergique Symphonie italienne de Mendelssohn précédée, belle découverte, par une solide et classique Symphonie en ré majeur de Juan Crisóstomo de Arriaga, compositeur né à Bilbao en 1806 (soit trois ans après la naissance de Berlioz et trois ans avant celle de Mendelssohn), étudiant au Conservatoire de Paris et mort de la phtisie dans cette même ville à l’âge de vingt ans. Aucun biographe de Berlioz ne cite le nom d’Arriaga, qui pourtant a dû croiser Berlioz à la bibliothèque du Conservatoire, au concert, à l’Opéra, au café Cardinal ou dans les rues. Et Berlioz lui-même n’en parle pas… Voilà le type de concert qu’on aime entendre, surtout lorsqu’au programme sont également inscrites des mélodies comme La Belle Voyageuse ou Zaïde (ah, les castagnettes !), l’une et l’autre d’un galbe inimitable (la griffe de Berlioz !), et interprétées avec une belle sensualité par Éléonore Pancrazi.

Illustration : Thomas Hengelbrock dirige la Symphonie fantastique (photo Bruno Moussier)

Festival Berlioz. La Côte-Saint-André, du 18 au 31 août 2022 (www.festivalberlioz.com).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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