Berlin mon garçon de Marie Ndiaye par Stanislas Nordey

Savoir ou pas être de bons parents...

Berlin mon garçon de Marie Ndiaye par Stanislas Nordey

La mise en scène de Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg jusqu’à présent et dont Marie Ndiaye est l’une des artistes associés propose avec Berlin, mon garçon le va-et-vient et l’échange entre deux villes, Chinon et Berlin, l’auteure ayant résidé en Allemagne.
D’un côté, une parole à propos d’un fils de libraires de Chinon, disparu à Berlin sans laisser de nouvelles ; aussi la mère part-elle à sa recherche. De l’autre, à Berlin, la parole du singulier Rüdiger, logeur qui accueillera la voyageuse, souhaitant aider sincèrement cette démarche maternelle. 
D’un côté encore, l’arrivée à Berlin de Marina par l’aéroport Tegel – Hélène Alexandridis, dans le rôle de la mère, est décidée et combattive. Sont projetées des images en noir et blanc de bâtiments d’architecture contemporaine – béton et verre, rondeur et lignes géométriques ; et découverte de l’unité urbaine froide des habitations du Corbusierhaus, avant d’entrer dans l’immeuble survolé de choucas aux cris stridents.
De l’autre côté, l’intérieur d’une librairie chic et sûre à Chinon, tenue par les parents du disparu, et où attend, passif, le père, Lenny, qu’interprète la fougue douloureuse et intransigeante du ténébreux Laurent Sauvage. 
Et, à ces espaces bipolaires qui alternent, tel un lent clignotement de-ci delà, correspond l’échange de la parole – nouveau va-et-vient d’un discours intérieur passant d’un personnage à l’autre, le locuteur ne portant pas la voix de son personnage, mais celle de son interlocuteur. 
Rüdiger se tient, énigmatique lui aussi, entre hésitations et velléités : le grand Claude Duparfait fraye avec le doute, sculpte sa gestuelle.
Les ombres du Pinocchio de Collodi ou des Six Cygnes des Frères Grimm hantent cette quête terriblement contemporaine d’un enfant perdu « dans la nuit de l’Europe », attiré par de faux rêves dangereux.
La mère évoque Berlin qui tient son fils captif, ville des fêtes juvéniles autorisant toutes les « transfigurations », où « les garçons joyeux et paresseux (…) ne sentent pas encore claquer au-dessus d’eux le fouet méchant du petit homme le fouet rapide de celui qui connaît la vie, mon fils ne connaissait rien à la vie, me disais-je… » Sombre emprise re-visitée des contes d’enfance et d’effroi – maltraitance et violence.
Le père part à Berlin pour donner à son fils la chemise de fleurs des Six Cygnes, à la place de ses faux habits d’un pseudo-monde merveilleux.
Esther, mère de Lenny et grand-mère, incarnée par l’ire et la conviction d’Annie Mercier, se moque de l’espace sacré parental de la librairie, ce qui exaspère le fils dans sa mission dite morale – amour des livres, culture et beauté : « Voulant accomplir le bien vous n’avez fait que vous méprendre, Dieu nous garde des gens de votre sorte que la pureté de leurs propres intentions enivre, dont la bonté durcit le cœur. »
La relation d’Esther avec son fils fait écho à celle de Marina et de son enfant perdu  : « Je pouvais entendre l’esprit de mon fils Lenny tenter de repousser ma voix en lui ». Jeu des quatre coins, d’une mère à l’autre et d’un enfant à l’autre, les relations sont faillibles, et les questions essentielles ne reçoivent des réponses ni adéquates ni réconfortantes.
L’ex-petite amie Charlotte – Mélody Pini, figure tragique, dont le visage est filmé via la vidéo de Jérémie Bernaert, demande à Marina : « Que s’est-il passé à Chinon pour que ce garçon devienne fou à Berlin ? »
Stanislas Nordey, en abordant l’univers inquiétant, la langue altière et suggestive de Marie Ndiaye, frappe un grand coup. Répétitions et variations, injonctions ressassées et infinies, écriture tenace, éloquente et virulente dans le traitement de fond du non-dit et de ses abîmes.
Les personnages font face à l’énigme du garçon. La Cliente de la librairie qui l’a vu grandir – Sophie Mihran persuasive -, l’a vu passer de la posture d’un petit lecteur attentif à celle d’un adolescent sinistre.
Une mise en scène puissante, à la mesure de la gravité du sujet et d’une prose poétique percutante, libre et orgueilleuse, qui relie les fils de l’imaginaire à la brutalité crue du réel. Une toile d’araignée ouvragée et déployée, où chacun est convoqué, emprisonné dans une responsabilité assignée de laquelle nul ne saurait s’échapper impunément.

Berlin mon garçon de Marie Ndiaye, mise en scène de Stanislas Nordey. Scénographie Emmanuel Clolus Lumière Philippe Berthomé Son Michel Zurcher Costumes Anaïs Romand Vidéo Jérémie Bernaert. Les 9, 10, 14, 15, 16, 17, 18 novembre 2022 à 20h, le 19 novembre à 14h et à 18h, au Théâtre National de Strasbourg, 1 Avenue de la Marseillaise 67000 Strasbourg. Tél : 03 88 24 88 24 billetterie@tns.fr Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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