Du 11 au 24 octobre 2025 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.
Amadoca d’après le roman de Sofia Andrukhovych par Jules Audry.
L’urgence ukrainienne d’une reconstruction intime et collective.

Jules Audry adapte Amadoca, le roman-monde de Sofia Andrukhovych, auteure de la scène littéraire ukrainienne, l’histoire de deux jeunes gens - l’une voulant restituer la mémoire à l’autre qui l’a perdue. L’auteure ukrainienne et le metteur en scène français lèvent le voile sur l’effacement de l’histoire nationale - ses traumatismes, les effets des guerres, l’Holocauste sous l’Occupation allemande et jusqu’à la guerre actuelle contre la Russie.
Un premier volet concerne les années 1939-2024 -Amadoca, 1 Bohdan et Romane, une création au Théâtre National Populaire de Villeurbanne en octobre 2025, tandis que le second volet qui se penche sur les années 1701-1930 Amadoca 2 « Impénétrable », devrait être créé au Théâtre National Ivan Franko de Kyiv au printemps 2026.
Amadoca, 1 Bohdan et Romane se passe d’abord dans un centre de réhabilitation de Kyiv où gît un soldat revenu du front défiguré et sans mémoire, souffrant d’amnésie rétrograde, oscillant entre la vie et la mort. L’épouse supposée s’impose au service de soins, veille l’inconnu, répétant qu’il est ce mari cherché aux côtés de réseaux sociaux, remuant ciel et terre.
La jeune femme qui parle entame un monologue avec elle-même puisque les autres, dans l’urgence de la guerre qui blesse, mutile et enlève des vies, ont d’abord des soins à dispenser, ils ne l’écoutent qu’à peine ou avec suspicion, l’identité du soldat n’ayant pas été déterminée, quand de son côté, Bohdan, l’ami retrouvé, reste mutique, clos dans le silence. Or, sa parole intérieure se fait entendre : il s’adresse à soi, isolé et solitaire, observant les infirmiers.
La mise en scène tendue de Jules Audry fait alterner les images filmées avec le jeu théâtral sur scène, sous le verbe senti et prééminent de l’épouse. La jeune femme exige de se rendre auprès du soldat alité, descendant dans les sous-sols du centre, empêchée par le désordre accumulé, se frayant un chemin dans un fouillis indescriptible, entre les coupures d’électricité.
La chambre silencieuse, derrière un écran de voile, expose le soldat, à peine visible, étendu sur sa couche ou assis, près d’un infirmier veillant non loin.
Sorti de l’unité de soins, « libéré » par sa femme battante, le presque fantôme du soldat, remis sur pied, se rend avec elle dans leur maison de campagne, traversant un jardin verdoyant - arbres, plantes, fleurs, fruits. Ils pénètrent dans le logis à l’ameublement sommaire, un matelas pour dormir, un pan de mur rempli de livres. Bohdan « doit » se souvenir, en regardant aussi les photos de famille, qui révèlent leur bonheur ,et l’histoire d’amour de la grand- mère de Bohdan et de son ami juif pendant la Seconde guerre mondiale.
Pour le convaincre, Romane fait apparaître les images d’un passé lointain. Se créent pour le soldat des réminiscences hallucinées et fantasmagoriques.
L’attente dramatique est savamment entretenue, dans les silences après les paroles émises et dans la confrontation douloureuse du couple qui jamais ne se retrouve tout à fait uni car des doutes minimes et une distance se sont installés, indépassables, de la part de l’homme circonspect et méfiant, et de la part de la femme activiste dont l’intuition, les impressions, la font douter.
Sous la musique et les percussions de Jean Galmiche, Alexandra Gentil pour Romane et Yuriy Zavalnyouk pour le rôle de Bohdan, sont de jeunes acteurs vifs, engagés dans un jeu scénique sobre et dominé, dépassant une émotion trop forte afin qu’advienne la démarche claire et salutaire du raisonnement.
Doubles d’eux-mêmes, ils sont comme des ombres spectrales - dépositaires de la mémoire des victimes des guerres passées et présentes -, tous des êtres affligés et blessés qui se battent contre l’injustice et l’ignominie de l’agression tyrannique guerrière.
Une Histoire du soldat réactualisée - la famille et l’Ukraine liées, dévoilant une tentative de reconstruction intime en dépit d’une mémoire meurtrie. C’est qu’en même temps, et d’autant plus, les deux généreux interprètes dégagent une force de vie et d’énergie à retourner les montagnes.
Amadoca d’après le roman de Sofia Andrukhovych, traduction de la version scénique Jules Audry et Yuriy Zavalnyouk, mise en scène et adaptation Jules Audry. Avec Alexandra Gentil, Yuriy Zavalnyouk,
Jean Galmiche (musique), collaboration artistique Carine Goron, création musicale Jean Galmiche, scénographie et costumes Juliya Zaulychna, lumière Lison Foulou, son Hugo Hamman, vidéo Pierre Martin Oriol. Du 11 au 24 octobre 2025, du mardi au vendredi 20h, samedi 20h30, dimanche 16h au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.
Crédit photo : Jacques Grison



