Ali Baba à l’Athénée

Cherubini au pays des voleurs et des jivaros (Théâtre de l’Athénée, 28 avril).

Ali Baba à l'Athénée

Luigi Cherubini (1760-1842), compositeur italien établi à Paris, souffre d’une mauvaise réputation. Dans ses Mémoires, Berlioz a tourné en ridicule Cherubini le directeur du Conservatoire, mais il admirait en lui le compositeur, tout comme le faisaient un Beethoven ou un Weber. Encore faut-il, pour lui rendre aujourd’hui justice, jouer ses ouvrages tels qu’ils ont été conçus et écrits.

En réalité, Cherubini a la chance qu’une poignée de ses ouvrages soient défendus par quelques interprètes de talent : ses opéras Médée ou Lodoiska, ses messes et ses requiems. Mais pour un Riccardo Muti prêt à baptiser Orchestra giovanile Luigi Cherubini une formation vouée à défendre la musique de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, quelle ignorance, quelle désinvolture ! Le spectacle monté au Théâtre de l’Athénée vient de nous en donner une nouvelle preuve : car l’Ali Baba ou les quarante voleurs qui y est représenté a peu à voir avec l’ouvrage de Cherubini créé à l’Opéra de Paris en 1833. Et ce, même si l’on prend la peine de nous annoncer : « opéra d’après Luigi Cherubini », ce qui est bien le moindre des égards. Diminuée de moitié, arrangée et dérangée, pourvue d’une orchestration réduite à une quinzaine de musiciens (avec trois saxophones, instrument qui fut inventé vingt ans plus tard !), et ce grâce aux bons soins de Pierre Thilloy, la partition n’est plus qu’un squelette, ou une image tronquée, ou un bonzaï.

Difficile, dans ces conditions, de se faire une idée de l’ampleur que le compositeur avait voulu donner à son ouvrage, de l’enchaînement des différents numéros, de l’alternance de moments tragiques et d’épisodes comiques, sans compter bien sûr les couleurs ou les subtilités de son orchestre, entièrement volatilisées. Il y a sans doute dans cette musique un orientalisme délicieux, celui du Boieldieu du Calife de Bagdad, celui que retrouvera Bizet dans Les Pêcheurs de perles, mais comment s’en griser ?

Cet Ali Baba, en réalité, est devenu un spectacle pour enfants, avec d’ailleurs des enfants en guise de chœur (les Petits Chanteurs de Strasbourg et la Maîtrise de l’Opéra national du Rhin), et une distribution fort déséquilibrée. Le vibrato d’Hanne Roos (Délia), le phrasé approximatif et le timbre aigrelet de Mark Van Arsdale (Nadir) sont à peine compensés par la verve de Yuriy Tsiple (Ali Baba) et de Dimitri Pkhaladze (Aboul-Hassan) ou par la sauvagerie feinte de Jean-Gabriel Saint-Martin (Ours-Khan). Fernandel, dans le célèbre film de Jacques Becker (1954), fait preuve d’une tout autre fantaisie ! Seule Ève-Maud Hubeaux (Morgiane), avec sa voix pleine et sa technique maîtrisée, rend justice au chant écrit et voulu par le compositeur. Dans la fosse, l’Ensemble orchestral du Conservatoire de Strasbourg, que dirige Vincent Monteil, fait ce qu’il peut mais se situe tellement loin des intentions de Cherubini qu’on ne peut pas lui demander l’impossible. Il est vrai que, d’une manière générale, l’acoustique de l’Athénée, présente et sonore, est favorable aux interprètes bien choisis, impitoyable avec les autres.

Quant à la mise en scène de Markus Bothe, elle est simple, sommaire et sympathique, avec l’éternelle valise (cette fois, c’est Nadir qui la traîne) et les sempiternels trépignements et pas de danse pour exprimer l’allégresse (c’est Ali Baba qui s’en charge). Un tapis, une théière, un crocodile factice ou un voile peuvent créer l’illusion de l’Orient, encore faut-il qu’ils trouvent leur juste place et nous fassent signe. Cherubini a composé là son dernier ouvrage lyrique ; ce testament méritait mieux que cette réduction, ces demi-mesures et ces choix au rabais.

Christian Wasselin

Cherubini : Ali Baba ou les quarante voleurs (adaptation de Pierre Thilloy). Avec Hanne Roos en alternance avec Émilie Brégeon (Délia), Mark Van Arsdale en alternance avec John Pumphrey (Nadir), Yuriy Tsiple (Ali Baba), Dimitri Pkhaladze (Aboul-Hassan), Jean-Gabriel Saint-Martin (Ours-Khan), ève-Maud Hubeaux (Morgiane), Mickaël Guedj (Thamar), les Petits Chanteurs de Strasbourg et la Maîtrise de l’Opéra national du Rhin ; Ensemble orchestral du Conservatoire de Strasbourg, dir. Vincent Monteil. Mise en scène : Markus Bothe ; décors : Alexandre Corazzola ; costumes : Sabine Blickenstorfer. Prochaines représentations : vendredi 29 avril à 20h, samedi 30 avril à 15h et 20h.

photo Alain Kaiser

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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