Critique – Opéra & Classique

Aida de Giuseppe Verdi

En abstraction, en beauté et... humour

Aida de Giuseppe Verdi

Dernier acte du séjour de La Monnaie de Bruxelles sous le chapiteau dressé il y a deux ans dans l’espace Tour et Taxis de Bruxelles, Aida de Verdi vient clore en sérénité l’exil de la maison mère fermée pour travaux.

Sérénité et continuité d’une politique qui se veut novatrice. C’est le choix d’un metteur en scène inconnu des scènes de Belgique et de France qui signe ici la part d’inédit. Stathis Livathinos, directeur du Théâtre National d’Athènes, n’avait à ce jour ni franchi les frontières de sa Grèce natale, ni abordé le répertoire lyrique. Il le fait avec ce sens qu’on aimerait qualifier d’inné de la tragédie antique, son chant profond, son dénuement.

Un décor unique, des lumières architecturées, flamboyantes, rasantes, explosées de brumes (orchestrées par Alekos Anastasiou), des costumes couleurs pastel presque neutres à l’exception de celui du prêtre Ramfis avec un bras prolongé en aile de vampire. Des masques en symboles – une armée d’Anubis - complètent la panoplie

Une sorte de rocher, pierre brute ondulée de creux et de bosses centralise les actions et les passions. Un rideau de tulle ornementé descend d’acte en acte, poussant les protagonistes à l’avant-scène comme pour sceller une forme d’intimité avec le public. Un panneau troué d’une ouverture circulaire surplombe de bout en bout le plateau. Il faudra attendre l’ultime scène pour en comprendre le sens, quand il descend enterrer pour ainsi dire les amants condamnés unis pour l’éternité.

Au-delà de sa marche célèbre qui fait sa renommée, Aida est une œuvre profondément intimiste, le drame amoureux d’un homme trop aimé de deux femmes, une reine, une esclave. En tournant le dos aux grands effets de parade, Stathis Livathinos concentre le cœur de l’œuvre sur l’essentiel. Il y ajoute une pointe d’humour : quand retentissent les trompettes et que sont censés déferler les éléphants en parade, les choristes et danseurs rassemblés sur la caillasse centrale miment les réactions de la foule, regards ébahis, bouches tordues, rires en éclats… Et sourires dans la salle.

A ces malicieuses déviations visuelles s’ajoutent quelques menues rallonges musicales comme les sifflements d’un vent d’orage et ou les stridences de cris d’esclaves. Le maestro Alain Altinoglu, nouveau directeur musical de la Monnaie, s’y est prêté de bonne grâce. Ce qui n’a en rien affaibli la puissance, la résonance, la finesse et la précision de sa direction. Il cultive l’art de communiquer fougue et enthousiasme aux instrumentistes, et sait aussi contenir toute emphase pour que les voix puissent s’exprimer. La jeune soprano américaine Adina Aaron incarne une Aida juvénile au teint joliment métissé et au timbre tout en fraîcheur à la fois ample souple. Face à elle, la mezzo Nora Gubisch campe une Amnéris égarée d’amour, quasi hystérique, aux graves plongeants et aux aigus saillants. Radamès, le trop aimé, a la vaillance et le timbre clair du ténor Andrea Caré, Amonasro hérite de la chaude voix de baryton de Dimitris Tilliakos

L’ensemble est accueilli par un public enthousiaste resté nombreux et fidèle durant ces deux années de transplantation sous tente où le bruit des avions venait parfois brouiller les partitions musicales. Il retrouvera son Théâtre Royal, remis à neuf dans ses ors, ses velours, ses fresques et sculptures dès le 5 septembre avec la création mondiale d’une commande maison, Pinocchio mis en opéra par le grand Philippe Boesmans. Peter de Caluwe, réintégrera enfin les murs de la maison qu’il dirige en finesse et audace depuis 2007. Petit détail : on peut espérer qu’il réintégrera également les biographies des artistes dans ses programmes, l’indispensable écho du « qui est qui » qui avait disparu des cahiers.

Aida de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni, orchestre symphonique et chœurs de La Monnaie, direction Alain Altinoglu (en alternance avec Samuel Jean), mise en scène Stathis Livathinos, décor Alexander Polzin, costumes Andrea Schmitt Futterer, lumières Alekos Anastasiou. Avec Adina Aaron (et, en alternance, Monica Zanettin), Andrea Caré (et Gaston Rivero) Nora Gubisch (et Ksenia Dudnikova, Dimitris Tiliakos (et Giovanni Meoni) Giacomo Prestia (et Mika Kares) Enrico Iori, Tamara Banjesevic .

La Monnaie – site Tour et Taxis, les 16, 17, 19, 20, 23, 25, 26, 30, 31 mai et 2 juin à 19h30, les 28 mai et 4 juin à 15h.
+32 (0)2 229 12 11 – www.lamonnaie.be.tickets@lamonnaie.be

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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